Faire et faillir

Elle avait fait un drôle de rêve où elle flottait dans une piscine. La piscine se déversait dans la mer, mais bizarrement elle n’était pas emportée par le courant et continuait de flotter tranquillement. Elle s’était réveillée. Et la journée avait déversé ses heures. Elle avait fait sa toilette, fait un café. Avant de partir, elle avait refait le lit.

Elle avait fait le trajet jusqu’au bureau où elle avait fait son travail. Fabien était passé. Il lui avait fait une observation. Sur ce qu’il y avait en faire en plus, en mieux, des efforts, de l’attention, des process, des enregistrements, des vérifications de vérifications, de la satisfaction, pour la boite, pour le client, pour le changement, enfin il fallait faire ce qu’il y avait à faire, point.

Elle n’avait rien dit, elle ne lui disait plus rien. A lui et aux autres, des mêmes, des mimes. Elle ne leur disait plus rien à tous ces Fabien, parce qu’autant parler à des briques. Oui au fond c’était ça. Tous des Fabien qui voulaient qu’on fabrique, tous des Fabien fayots, des Fabien falots, des Fabien fachos, c’étaient les mêmes.

Elle avait échangé des regards entendus avec Alba, assise en face d’elle, dans l’open space. Parce qu’il restait au moins ça, les regards entendus. Pas de caméra pour les capter, de micro pour les enregistrer, de collègues pour les rapporter. Alors elles en profitaient, de ces regards qui en disaient long et qui parfois disaient tout court. Alba, Alba la belle, un regard avec qui s’entendre, en silence, si précieux.

Elle avait pris un café de la machine à faire du café, qui pouvait même le faire sans sucre, puis elle avait repris sa place. Elle avait repris le temps de reprendre, un dossier, deux, trois, boucler, chercher, traiter, vérifier, faire passer et puis finalement ça passait, ça passait le temps d’arriver à la pause déjeuner. Faire la queue à la boulangerie, prendre une salade faite maison toute faite, aller au square, manger sur un banc au soleil, aujourd’hui il fait beau.

Il fait beau, comme c’était bizarre cette phrase –  il, c’était qui, qui qui fait, qui fabrique le beau  ? Le beau, ça se fabriquait ? On pouvait faire du beau comme on faisait le reste. ? Peut-être, pensa-t-elle, il faudrait se faire belle uniquement quand il fait beau. Mais pour qui, pour quoi, se faire beau se faire belle, qu’est-ce que ça voulait dire ? Elle avait fini par trouver : il fallait se faire belle pour se faire la belle. Stylé !

Retour au bureau. Et cinq minutes après comme par hasard retour du Fabien qui fait mine de passer l’air de rien. Il fait ça si bien.  Il fait bien de l’air et il fait bien du rien, il est multitâches tout à fait comme il faut, un vrai pro, un bon p’tit kapo, bien comme il faut.

Vas-y passe, repasse, passe-passe, passe Fabien avec ton sourire de fabrique tout à fait aux normes, ton sourire garanti Iso 2051. Fais ton travail, fais ton travail de contrôleur des travaux finis, fais ta tête de zélateur zélé, tête de zouave, tête à tout-faire, tête à péter.

Et elle, où a–t-elle la tête ? Tête de passe-temps tête de pastèque. Faire la tête ou le dos rond, allez bosse, allez fais le job, ça finira par passer cet état, cet état de celle qui bosse et qui sue, la bossue, oui c’est ça, au bout de la journée elle devient bossue. Mais ça passe toujours, il y a toujours un moment où c’est vrai il est 18h, où elle peut faire le trajet retour, faire les courses, faire à ranger, à repasser non faut pas pousser ça ne se fait plus faire à repasser, mais faire à manger, oui faire à manger, ça semble irréductible.

Faire la bise quand il rentre, faire mine de l’écouter raconter sa journée blablabla, il a fait ci il a fait ça, etcétéra à un moment il se taira, et alors prendre une respiration, et faire le pas : lui dire ce qu’on a pris la décision de lui dire, lui dire ce qu’on va faire, et l’entendre dire : « tu te rends comptes de ce que tu me fais ! »

Laisser un commentaire